Libre opinion,
par Anas Abdoun*
Alors que le Maroc avait rejoint en grande pompe les accords d’Abraham en 2020, les promesses d’une coopération multidimensionnelle avec Israël – économique, universitaire, culturelle ou encore diplomatique – peinent aujourd’hui à se concrétiser. Les premières années avaient été marquées par une avalanche de protocoles d’accords, de visites officielles et d’annonces ambitieuses. Mais cinq ans plus tard, et surtout depuis le début de la guerre à Gaza, le ralentissement est manifeste, révélant un malaise structurel et un dilemme stratégique.
Sur le plan économique, les échanges entre les deux pays restent marginaux. Au sein de la société marocaine, la normalisation ne passe pas.
Sur le plan économique, les échanges entre les deux pays restent marginaux. Le volume du commerce bilatéral est à peine supérieur à celui enregistré avec l’Algérie, pourtant en rupture diplomatique avec Rabat et dont les frontières sont fermées depuis plus de trente ans. Les partenariats culturels et universitaires, eux, sont quasiment inexistants. Aucun représentant diplomatique israélien permanent n’est actuellement en poste à Rabat. Quant aux vols directs entre les deux pays, suspendus depuis le 7 octobre, ils n’ont jamais repris, les autorités marocaines redoutant les risques sécuritaires liés à l’arrivée de touristes israéliens de facto réservistes dans l’armée israélienne.
Au sein de la société marocaine, la normalisation ne passe pas. Les entreprises soupçonnées – à tort ou à raison – de commercer avec Israël sont immédiatement ciblées par des campagnes de boycott virulentes. La population refuse de jouer le rôle de relais dans une stratégie de rapprochement qu’elle n’a ni choisie ni validée. En creux se dessine une fracture croissante entre les dynamiques diplomatiques et la réalité du terrain social.
Coopération militaire impopulaire mais opérationnelle
Dans ce paysage contrasté, un seul domaine échappe à cette atonie : la coopération militaire. Discrète, impopulaire, mais opérationnelle. Les entreprises israéliennes de défense ont su profiter d’un moment d’ouverture : la volonté du Maroc de se doter de capacités de défense renforcées, à un moment où ses relations avec Paris étaient au plus bas. Tel-Aviv a comblé ce vide en proposant des contrats rapides, et surtout moins réticents aux transferts de technologies que ne l’étaient jusqu’ici leurs homologues français. Résultat : une percée significative sur le marché marocain, notamment dans les systèmes de drones, de surveillance et de cybersécurité.
La fenêtre d’opportunité est réelle. Encore faut-il savoir la saisir, et comprendre que dans la géopolitique marocaine actuelle, l’agilité vaut souvent plus que la loyauté ancienne.
Fenêtre d’opportunité pour les entreprises françaises de défense
Mais cette dynamique pourrait bien s’inverser. D’abord parce que le contexte a changé : la France s’est réconciliée avec Rabat, le dialogue stratégique a repris, et les entreprises hexagonales ont l’opportunité de regagner du terrain. Ensuite, parce que l’opinion publique marocaine demeure massivement hostile à Israël, dont l’image est durablement dégradée par la guerre à Gaza. Enfin parce que la dernière tournée régionale du président Trump dans le Golfe a mis en lumière une prise de distance vis-à-vis de Benjamin Netanyahu, laissant entendre que le soutien américain au Maroc sur le dossier du Sahara occidental – pierre angulaire des accords d’Abraham – ne dépend plus directement de l’intensité des liens avec Israël.
Dans ce nouvel environnement, les entreprises françaises de défense auraient tout intérêt à repositionner leur offre, en tenant compte des nouvelles exigences de Rabat : plus de transparence, plus de coopération industrielle, et un engagement en matière de transfert de technologies. La fenêtre d’opportunité est réelle. Encore faut-il savoir la saisir, et comprendre que dans la géopolitique marocaine actuelle, l’agilité vaut souvent plus que la loyauté ancienne.
*Anas Abdoun est consultant en énergie et affaires internationales
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