Pragmatiques et compétents

Les maires libéraux, dernier rempart contre la vague populiste

Ils sont les derniers rouages fonctionnels d’une politique de plus en plus dysfonctionnelle

Les maires libéraux, dernier rempart contre la vague populiste Nicusor Dan, maire centriste de Bucarest, a remporté la présidence de la Roumanie le 18 mai 2025 - © SIPA

Ces derniers temps, la moindre élection en Europe semble opposer un politique modéré, défendant des idées plutôt sensées, à un populiste démagogue qui affiche une aversion viscérale pour les migrants, les homosexuels et l’Union européenne (UE). Le centriste l’emporte généralement, mais avec un écart de plus en plus réduit. L’Europe est-elle donc vouée à sombrer dans le dysfonctionnement réactionnaire à chaque revers électoral ?

Pragmatisme et modération

Pas si vite. Aussi puissants qu’ils puissent paraître, les agitateurs nationalistes, même lorsqu’ils accèdent à des fonctions élevées, ne forment en Europe que la garniture d’un sandwich libéral. Au-dessus d’eux se trouvent les responsables de l’UE, toujours prêts à contrôler les déficits budgétaires et le respect de l’État de droit.

En dessous des populistes se trouve une couche de politiques pragmatiques qui font fonctionner la machine gouvernementale au quotidien (et veillent à ce que les routes soient entretenues). Les maires européens, en particulier ceux des grandes villes, sont la force modératrice méconnue de la politique continentale. Libérés du discours patriotique grandiloquent et soucieux de faire circuler les bus à l’heure, ils sont le rempart de la gouvernance modérée dont le continent a grandement besoin.

Ascension nouvelle à Bruxelles

Ce discret échelon de technocrates municipaux a récemment connu une ascension fulgurante. Le 18 mai, contre toute attente, Nicusor Dan, le maire centriste de Bucarest, a battu George Simion et remporté la présidence de la Roumanie. La campagne a mis en évidence leurs différentes approches du gouvernement. George Simion, un homme politique d’extrême droite, a pontifié sur la politique étrangère, s’est vanté d’être “presque parfaitement aligné idéologiquement avec le mouvement Maga [Make America Great Again, ndt]” et a passé une partie de la dernière semaine de sa campagne à Bruxelles, qui ne se trouve pas en Roumanie. À l’inverse, Nicusor Dan a un jour admis que ce qui l’empêchait vraiment de dormir, c’était la circulation dans la capitale. Les électeurs ont plébiscité le candidat anti-embouteillages. Un autre maire centriste pourrait être propulsé à des fonctions plus élevées le 1er juin, lorsque Rafal Trzaskowski, le maire centriste de Varsovie qui a remporté de justesse le premier tour la semaine dernière, affrontera un candidat soutenu par le parti illibéral Droit et justice.

Lors de conférences à Bruxelles, Nicusor Dan rencontrera ses homologues européens, familiers des pistes cyclables, du traitement des eaux usées et d’autres aspects peu glamour de la vie publique.

Lors de conférences à Bruxelles, Nicusor Dan rencontrera ses homologues européens, familiers des pistes cyclables, du traitement des eaux usées et d’autres aspects peu glamour de la vie publique. Bart De Wever, le nouveau Premier ministre belge, était lui-même autrefois perçu comme un agitateur d’extrême droite (il milite pour l’indépendance de la Flandre néerlandophone), si bien que ses rivaux politiques refusaient d’inclure son parti dans les coalitions au pouvoir. Son mandat de douze ans comme maire d’Anvers depuis 2013 lui a permis de montrer à l’électorat qu’il était capable de plus que de simples slogans. Giorgia Meloni s’est présentée aux élections municipales à Rome avant de se contenter du poste de Première ministre italienne ; Ulf Kristersson, Premier ministre suédois, est un ancien maire adjoint de Stockholm. Les réunions des dirigeants de l’UE sont présidées par António Costa, président du Conseil européen, qui a dirigé Lisbonne pendant huit ans avant de devenir Premier ministre du Portugal.

Mairies de gauche dans pays de droite

Dans toute l’Europe, les maires sont souvent issus d’un autre milieu politique que le reste de la classe dirigeante. La gauche s’en sort particulièrement bien au niveau local, même lorsque ses partis sont en perte de vitesse au niveau national – sans surprise, peut-être, compte tenu du profil cosmopolite des ceux qui choisissent de s’installer dans les villes. Les partis d’extrême droite, qui n’ont pas la culture organisationnelle nécessaire pour présenter des candidats à de ternes postes municipaux, sont notablement absents. Le discours municipal est donc plus modéré (du moins tant que la question des pistes cyclables n’est pas abordée). Femke Halsema, la bourgmestre d’Amsterdam, nommée par le gouvernement central et non élue [comme tous les bourgmestres aux Pays-Bas, ndt], est une femme progressiste dans un système politique néerlandais dominé par des hommes dénigrant le progressisme. Les socialistes et leurs alliés de gauche ont été battus à plate couture en France, perdant tous les postes importants au niveau national, mais ils dirigent toujours Paris, Marseille et la plupart des autres grandes villes françaises. Giorgia Meloni et ses acolytes de droite dominent la politique italienne, mais les maires de Rome et de Milan sont issus d’une gauche moribonde. (Il en va de même aux États-Unis, où la plupart des grandes villes sont dirigées par des démocrates.)

Le “Pacte des villes libres” regroupe 32 villes européennes qui se concentrent sur la “protection de la démocratie et de la société ouverte”

Contrepoids aux régimes majoritaires

En Europe centrale, berceau spirituel de l’illibéralisme continental, les politiques locaux se présentent fièrement comme contrepoids ouverts d’esprit aux régimes majoritaires. Lassés que leur région soit associée à des personnalités telles que Viktor Orban, le Premier ministre hongrois en quête de notoriété, les maires de Prague, Bratislava, Varsovie et Budapest ont créé en 2019 un “Pacte des villes libres”, par lequel des maires dynamiques et branchés ont montré qu’une autre voie était possible. Le quatuor s’est rendu à Kiev pour soutenir l’Ukraine alors que certains de leurs dirigeants nationaux s’y refusaient. Istanbul aurait pu être un autre membre du club, son maire, Ekrem Imamoglu, ayant représenté une telle menace pour le président turc Recep Tayyip Erdogan qu’il a tout simplement été emprisonné. Le “Pacte des villes libres” regroupe désormais 32 villes européennes qui se concentrent sur la “protection de la démocratie et de la société ouverte”, sans oublier l’échange de conseils pour traiter d’épineuses questions d’urbanisme.

Gestionnaires compétents

Les mairies sont des lieux où l’on trouve naturellement des gestionnaires compétents. Les démagogues s’élèvent en faisant des promesses ; les maires restent au pouvoir en les tenant. Tous les politiques qui ont réussi en tant que maires ne réussissent pas forcément sur la scène nationale. Olaf Scholz restera davantage dans les mémoires pour ses sept années passées à la tête de la ville de Hambourg que pour ses trois années en tant que chancelier allemand. Anne Hidalgo, qui entame sa deuxième décennie en tant que maire de Paris, n’a obtenu que 1,8 % des voix lors de la présidentielle française de 2022, devancée par non moins de neuf autres candidats.

Une ville peut sembler facile à gérer par rapport à un pays. Les capitales sont souvent les régions les plus riches d’une nation. Il est plus facile de fournir des services publics dans des zones densément peuplées et dotées d’une assiette fiscale importante. Mais les lacunes sont également plus faciles à repérer. À l’échelle nationale, l’incompétence de la gestion qui révèle les failles des dirigeants populistes peut mettre des années à apparaître : les services publics sous-financés ne se dégradent que lentement, et peu d’électeurs suivent les subtilités de la politique étrangère. En revanche, tout le monde remarque rapidement les nids-de-poule et les retards des bus. Les politiques grandes gueules parlent souvent de reprendre le contrôle. Les électeurs devraient prêter davantage attention à ceux qui ont fait leurs preuves en s’occupant des poubelles.

The Economist

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