C’est dans un spectaculaire bâtiment style Art nouveau, inscrit à l’inventaire des monuments historiques, que Frédéric Duval reçoit. Siège social d'Amazon France depuis 2017, cet ancien entrepôt des grands magasins Le Printemps situé à Clichy n’a jamais sonné aussi creux. C’est à peine si l’on croise âme qui vive sur les immenses plateaux qui accueillent normalement un millier de collaborateurs quotidiennement. Même son directeur général n’y est généralement pas. À l’instar de 90 % des salariés, il a basculé en quasi full-télétravail il y a maintenant un an. Le champion mondial du commerce électronique a beau afficher des résultats hors normes, il n’en reste pas moins une entreprise “comme les autres” en temps de crise sanitaire. Ou presque. Amazon fait incontestablement partie des grands gagnants de la période actuelle. À la faveur du confinement et des diverses mesures liées à la Covid, le e-commerce explose. Les ventes en ligne ont atteint 112 milliards d’euros en France en 2020. Les achats à distance, qui représentaient 9,8 % du commerce de détail en 2019, pèsent aujourd’hui 13,4 %. Pour Amazon, cela se traduit par un chiffre d’affaires d’environ 5,7 milliards en France l’an passé. Un résultat à relativiser : 6 ventes sur 10 sont réalisées par des vendeurs tiers. Un constat méconnu. “Amazon nourrit beaucoup de fantasmes”, reconnaît le responsable, dont le rôle consiste largement à rappeler la réalité de l’activité du géant américain en France. Ce dernier se positionne d’abord comme un partenaire des marchands sur Internet à travers sa place de marché. Son audience, fruit de son succès auprès des Français, le lui permet. Évidemment, tout cela est entrepris “à l’américaine”, ce qui a le don d’agacer – parfois à juste titre. Mais de là à accuser Amazon d’être un destructeur de commerces et d’emplois en France, il n’y a qu’un pas qui confine au mauvais procès. Pas plus que Mc Donalds n’a pas tué les restaurants ou Uber les taxis, Amazon ne tuera pas les commerces de détail.
Propos recueillis par Edouard Laugier
Pendant cette crise sanitaire, les Français se sont naturellement tournés vers le commerce en ligne, suscitant une hausse des ventes de produits sur Internet. Pour ce qui est d’Amazon, notre croissance au niveau mondial sur l’exercice 2020 a été de 38 % par rapport à l’année passée. Il est important de rappeler que près de 6 ventes sur 10 sont réalisées au travers de notre place de marché par des marchands tiers. Dans l’Hexagone, ce sont plus de 11 000 PME françaises qui utilisent nos outils et services pour vendre leurs produits en ligne, en France et à l’international. Par ailleurs, selon le dernier bilan de la Fevad [Fédération du e-commerce et de la vente à distance, ndlr], de plus en plus de transactions en ligne sont réalisées par des magasins physiques. Elles ont augmenté de 53 % en 2020, soit plus vite que le e-commerce, et joué un rôle d’amortisseur économique pour les entreprises françaises. Ce que nous observons, c’est que la crise sanitaire a été un accélérateur majeur de la digitalisation des entreprises en général, et des commerçants en particulier. Pendant la période de confinement, nous avons mis en place des mesures pour aider les commerçants à se lancer encore plus facilement. Nous avons supprimé les frais d’accès à la marketplace. Nous avons également donné à tous les nouveaux entrants des crédits publicitaires leur permettant de mettre en avant leurs produits sur notre site. Nous avons aussi mis en place des équipes dédiées – environ 300 personnes – pour accompagner les nouveaux vendeurs dans leur lancement.
Le télétravail
Dans l’entreprise, la crise sanitaire et le confinement ont nécessité la mise en place de mesures spécifiques. Il a fallu organiser le télétravail pour les métiers qui le permettaient. Aujourd’hui, seuls 10 % de nos salariés sont présents dans nos bureaux de Clichy. Pour l’essentiel, nos collaborateurs ne viennent que si c’est absolument nécessaire. Nous continuons à faciliter le télétravail avec la mise à disposition de matériel informatique et bureautique adapté, mais également au travers d’ateliers sportifs, sur la nutrition, les postures sur écran, ou l’organisation d’ateliers d’initiation à l’informatique pour les enfants.
“Il y a des vertus à ce mode de travail à distance, comme le gain de temps. À l’avenir, nous n’allons pas le systématiser car il y a des personnes qui éprouvent le besoin de venir au bureau, mais nous serons plus souples”
Il y a des vertus à ce mode de travail à distance, comme le gain de temps. À l’avenir, nous n’allons pas le systématiser car il y a des personnes qui éprouvent le besoin de venir au bureau, mais nous serons plus souples. Il a également fallu adapter nos centres de distribution au nouveau contexte sanitaire pour assurer la santé et la sécurité de l’ensemble de nos salariés. C’est ainsi que dès le début de la pandémie, nous avons mis en place des mesures allant même au-delà des recommandations du gouvernement, telle que la distanciation de 2 mètres entre chacun de nos salariés. Nous avons également revu plus de 150 processus pour protéger nos salariés sur nos sites, distribué des masques à l’ensemble des salariés et renforcé nos procédures de nettoyage.
Les critiques récurrentes vis à vis d’Amazon
En France, il y a un certain nombre de groupes et d’organisations qui profitent de notre nom pour faire valoir leur cause. Elles le font avec des arguments erronés et mon rôle est de rappeler qui nous sommes et ce que nous faisons. Il y a beaucoup de fantasmes autour d’Amazon. En premier lieu, nous ne détruisons pas le commerce. Bien au contraire, nous l’aidons. Selon l’Insee, depuis les années 2000, le commerce de détail a créé 270 000 emplois en France. Amazon a contribué à ces créations. Des études qui sont de parti pris déforment cette réalité et il est faux de dire qu’Amazon détruit des emplois.
“En France, il y a un certain nombre de groupes et d’organisations qui profitent de notre nom pour faire valoir leur cause. Elles le font avec des arguments erronés et mon rôle est de rappeler qui nous sommes et ce que nous faisons”
Depuis les années 2000, Amazon a créé plus de 130 000 emplois en France. Nous employons plus de 11 500 collaborateurs en CDI et allons en recruter 3 000 cette année. Les entreprises qui vendent leurs produits sur notre site ont également créé plus de 13 000 emplois additionnels pour accompagner leur activité de vente, comme en témoigne la société Ducs de Gascogne qui vient de créer quatre emplois en CDI. À cela, s’ajoutent 110 000 emplois indirects créés au sein de notre chaîne d’approvisionnement. Ce chiffre comprend notamment les emplois des 700 sociétés tierces qui travaillent dans les bâtiments de notre réseau de distribution.
Aucune autre entreprise en Europe ne supporte autant les PME qu’Amazon. La part de l’activité de notre marketplace sur les sites Amazon est passée de 3 % en 1999 à 58 % en 2018. Ces quinze dernières années, l’activité des marchands tiers a cru deux fois plus vite que l’activité de détail. Les résultats démontrent que nous favorisons leur essor économique.
La crise du commerce de détail
Le commerce sortira de la crise dans laquelle il est plongé par la vente en ligne. Internet est un formidable canal de développement. Il faut raisonner en termes d’omnicanalité et arrêter cette opposition stérile entre le digital et le physique. Ces deux modes de distribution sont complémentaires, comme en témoignent le rapport de la Commission des affaires économiques du Sénat et sa présidente Sophie Primas : l’avenir du commerce passe par l’omnicanalité. Près de 9 commerçants en ligne sur 10 considèrent que la vente en ligne est complémentaire de celle en boutique. Les entreprises qui vendent en ligne voient leur chiffre d’affaires général augmenter de 14 % en moyenne. Nombre des PME présentes sur notre site ne parlent que de croissance à deux chiffres. Pour les commerçants, Internet est un outil de création de valeur, mais aussi de développement marketing. Il permet de faire connaître leurs produits en dehors de leurs publics et de leurs réseaux de distribution habituels.
Nous avons chez nous des commerçants traditionnels, comme la papeterie Neveu au Havre, qui ont pu grâce à Amazon sauver leur affaire, et même créer des points de vente supplémentaires. Autre exemple à travers notre partenariat avec Monoprix, pour qui Amazon représente des ventes supplémentaires qui sont préparées et livrées depuis les magasins du distributeur. On voit bien la complémentarité. La juxtaposition des activités physique et digitale ne provoque ni cannibalisation des ventes, ni appauvrissement de l’offre pour le client. Il s’agit avant tout de répondre aux modes de consommation des Français qui ont fortement évolué ces dernières décennies. Les achats en magasins demeurent mais ils se font aussi au travers de la vente à distance, depuis des ordinateurs et surtout des smartphones. Aujourd’hui, il n’est pas rare de faire des courses entre deux réunions ou dans les transports en commun. Chaque commerçant doit offrir l’ensemble des possibilités à ses clients.
La digitalisation des commerces
L’une des difficultés de la France, c’est la trop faible digitalisation de ses commerces. Comme le rappelait Cédric O, le secrétaire d’État chargé de la transition numérique, les entreprises françaises doivent redoubler d’efforts dans leur digitalisation. Elles ne sont que 30 % à vendre en ligne contre 72 % en Allemagne. Autre illustration de notre retard : 7 Français sur 10 achètent sur Internet mais seulement 1 PME sur 8 fait usage de solutions de vente en ligne. Il est impératif de démystifier la vente en ligne tout en mettant en exergue les possibilités offertes par le digital. C’est pourquoi Amazon a créé un accélérateur du numérique pour les TPE et PME. Avec déjà plus de 2 000 participants, ce programme d’une cinquantaine de formations sur le numérique conçues par des experts rencontre un vif succès.
“En Europe, plus de 150 000 entreprises vendent sur Amazon, mais avec seulement 11 000 PME françaises, nos entreprises sont sous-représentées.”
Chaque formation peut être suivie indépendamment. Si les participants veulent démarrer sur Amazon, nous les accompagnons bien volontiers, même si ce n’est pas l’objectif premier. En priorité, l’idée est d’amener les entrepreneurs à découvrir les possibilités du numérique, à approfondir certains sujets et à lancer leur e-boutique s’ils le souhaitent. Souvent, les TPE et PME ne voient pas l’opportunité à faire du e-commerce. Elles pensent que c’est coûteux et chronophage. Pourtant, il est très facile de mettre des produits en vente sur notre site. En Europe, plus de 150 000 entreprises vendent sur Amazon, mais avec seulement 11 000 PME françaises, nos entreprises sont sous-représentées. On peut considérer qu’il y a un retard mais c’est surtout un champ d’opportunité pour nos commerçants. Si la vente en ligne est possible pour la boucherie Victor à Montélimar, pour les légumes Princes de Bretagne à Saint-Pol-de-Léon ou encore pour l’Artisan du cristal à Baccarat, c’est possible pour de nombreuses entreprises tous secteurs confondus.
Des magasins Amazon ?
Nous avons ouvert un magasin Amazon Fresh à Londres. Il s’agit d’un magasin sans caisse au sein duquel le visiteur est identifié via son smartphone une fois l’application installée. Chaque panier d’achat est reconstitué automatiquement. La personne peut ainsi choisir des produits en rayon sans avoir à passer par une caisse de paiement. Cette innovation technologique a pour but de faciliter la vie de nos clients qui choisissent d’effectuer des achats en point de vente. Amazon est l’entreprise la plus centrée sur ses clients. Ceci en est l’illustration. Pour ce qui est de la France, nous privilégions notre partenariat avec Monoprix.
Les facteurs clé de succès d’Amazon
Les Français sont de plus en plus nombreux à utiliser nos services. Selon une récente étude Ifop, près de 70 % des Français considèrent qu’Amazon est utile dans leur vie. Nous sommes plébiscités par nos concitoyens, toutes catégories professionnelles et classes d’âge confondues. Ce succès repose sur trois priorités de l’entreprise, lesquelles ne changent pas depuis des décennies. Premièrement, le grand choix de produits proposés sur le site. Amazon.fr, c’est 300 millions d’articles différents, et nous continuons à étendre la sélection. Ensuite, les prix bas. Enfin, la fiabilité des livraisons.
“Ce succès repose sur trois priorités le grand choix de produits proposés, les prix bas, la fiabilité des livraisons”
En associant en permanence ces trois critères de choix, de prix et de livraisons, nous attirons et fidélisons les clients. Chez Amazon, tout tourne autour du client, il est vraiment au centre de notre approche. Quoi qu’il arrive, il est prioritaire. Par exemple, s’il téléphone au service client, nous lui répondons en moins de 30 secondes dans 99 % des cas. C’est sur cette base que nous avons mis nos organisations en place et que nous développons de nouveaux services. Mais à l’origine, il y a vraiment ce parti pris d’offrir un très large choix de produits au meilleur prix aux consommateurs.
L’expansion d'Amazon en France
Pour accompagner nos clients ainsi que les entreprises françaises, nous avons fait le choix de continuer à étendre notre réseau logistique. Plus il sera implanté à proximité de nos clients, plus il sera efficace, rapide et faible émetteur de CO2. Sur ce point, les critères économiques de l’entreprise convergent avec les critères écologiques de la planète. Aujourd’hui, nous avons 28 sites dont 6 sites principaux de préparation de commandes. En général, nous faisons en sorte d’ouvrir un grand site et une dizaine plus petits chaque année.
La réduction de l’impact environnemental
Contrairement aux idées reçues, le commerce en ligne est la manière la plus durable de faire ses achats. Grâce à notre approche, Amazon optimise le cheminement des camions de livraisons. En réduisant les kilomètres, nous minimisons les émissions de CO2. Dans une camionnette, nous transportons entre 150 et 180 colis ; si chaque consommateur avait pris sa voiture pour aller chercher son produit, la pollution aurait été beaucoup plus forte.
“Le e-commerce, quand il est optimisé, est le transport en commun de la livraison à domicile”
Le e-commerce, quand il est optimisé, est le transport en commun de la livraison à domicile. Pour autant, nous devons continuer à être plus performants sur l’aspect environnemental. C’est pourquoi Amazon a commandé 100 000 véhicules électriques, la plus grande commande de véhicules électriques jamais réalisée au monde, auprès du constructeur automobiles Rivian. Parallèlement, nous déployons des solutions alternatives comme les cargo-bikes dans certains hyper-centres.
Chiffre d’affaires 2019 : 5,7 milliards d’euros
Prélèvements obligatoires : 420 millions d’euros
130 000 emplois
11 000 PME françaises sur la marketplace
Patron pédagogue
Frédéric Duval, 52 ans, a rejoint Amazon en 2006, où il occupe le poste de directeur général France depuis 2015. Précédemment directeur financier de l’activité Amazon Retail Europe au Luxembourg, il a aussi occupé le poste stratégique de directeur des opérations en charge de la logistique au sein de la filiale française. Diplômé de l’École des Mines de Nancy, ce spécialiste de thermodynamique et mécanique des fluides a, avant de rejoindre Amazon, occupé diverses fonctions au sein de Thomson Multimédia.